Une
journée « wouaw ! ».
Après
une préparation minutieuse, c’est qu’une journée comme celle-là ne s’improvise
pas, nous quittâmes le joli petit village du Rozier.
Le
sentier abrupt parsemé de cailloux calcaires, serpentait vers la corniche. Le
soleil d’octobre nous chauffait doucement l’échine que nous avions courbée. Les
sacs à dos gonflés par les sandwichs et les appareils photos nous tiraient
irrémédiablement vers la descente, comme s’ils refusaient de nous suivre. De
temps en temps nous soufflions en nous retournant pour admirer un paysage qui
se cachait de nous et grandissait au fur et à mesure que nous grimpions.
Lumière rasante et premières couleurs automnales prenaient part à la magie du
lieu.
Cette
fois-ci c’était le Tarn qui serpentait à nos pieds. Il ne voulait pas refléter
le bleu du ciel restant vert clair de surface et vert foncé de profondeur.
Chacun sa vie ! Les vestiges du causse restaient plantés là tels des
sentinelles avides d’octroi. Ce n’était pas sans rappeler les grandes sœurs
américaines bordant des vallées
réputées.
Nous
continuions notre ascension lorsqu’une question existentielle nous sauta à la
figure. Les ruines d’un village d’un autre âge accroché au rocher se
dévoilèrent à nos yeux. Pourquoi s’installer aussi loin de tout et surtout de
la rivière et de sa vallée fertile. Pauvreté, bannissement, désir de
surveiller, de dominer, de profiter du paysage. Tout est possible, même la
volonté de s’isoler, que l’on comprend plus facilement dans le fourmillement du
monde actuel, le village étant en cours de réhabilitation.
Finie
la philosophie, place à la grimpette. Nos chaussures de marche d’une élégante
rusticité continuèrent d’arpenter mètre de dénivelé après mètre de dénivelé.
Mais cela en valait la peine car soudain s’ouvraient devant nous les gorges de
la Jonte. Beauté fatale !
Quelques
lacets et détours plus loin, c’était un panorama sur les gorges du Tarn. Beauté
fatale !
Et puis « wouawww ! », une vue en crête sur
les deux vallées en même temps. Vite vite, la mitrailleuse de l’option
panoramique de l’appareil photo et hop dans la boîte, mais surtout dans les
yeux et dans le cœur. Les posséder toutes deux d’un simple regard, un petit peu
en maître du monde. Sublimissime !
Dans
un pareil décor, la pause casse-croûte ne pouvait que s’imposer. Seuls au
monde, ou presque, rencontre avec trois escaladeurs, qui s’en retournaient, la
face nord vaincue. « Bonjour, bon appétit », « merci »,
quelques rudiments de civilisation, sourires à l’appui, nous ont réconfortés,
tous heureux d’être là en cet instant. Nous étions désormais tout seuls et nous
nous délections avec les papilles et les yeux. Mais dans ce monde soupçonneux,
du moins considéré comme tel, nous sentions une présence qui nous espionnait.
Non pas un drone mais un volatile planant au-dessus de nos têtes que nous
considérions comme tout un chacun comme bien faites.
Point
de menace, l’homme se considérant supérieur à l’animal. Mais lui, contrairement
à nous, pouvait voler sans artifices, nous condamnant ainsi au sol, confiant et
méfiant tout à la fois. Il s’éloigna pendant que nous nous enfoncions dans les
gorges du Tarn, côté nord, sous la corniche. Nouvelle découverte avec une
végétation digne du Seigneur des anneaux, un versant tout moussu, verdoyant
sous les pins et les buis. La falaise n’était pas loin pour autant, elle se
laissait deviner à travers la ramure.
Nous
progressions discrètement parmi la végétation. Le regard perdu dans un paysage
grandiose.
Quand
tout à coup : « chut, écoute ! ». Un grincement, des
chuintements, comme une conversation d’un autre genre, des êtres en grande
discussion. Quelque rassemblement elfique ? Et puis : « regarde
là ! Re-wouawww ! ». Clac, clac l’obturateur et… « Ben, pas
mécontente de mon œuvre » et surtout ravie de cette rencontre sauvage avec
un jeune vautour fauve en liberté. Deux instantanés de l’envol du repaire
familial. Il n’était pas seul, très certainement parents, frères et sœurs
l’accompagnaient.
Il
m’a été difficile de me remettre de mes émotions et de la magie du moment.
Surtout qu’avec le numérique, le retour sur image permet de revivre immédiatement et intensément cet instant. La
charge affective en est doublée, pour mon plus grand plaisir.
Longtemps
auparavant, j’avais tellement tanné mon mari! Je voulais la faire absolument
cette randonnée pour voir les vautours. Cela en était presque devenu
obsessionnel. Imaginez donc, j’en étais toute retournée et comblée. J’étais là
pour eux et eux pour moi.
Notre
marche se poursuivit. Nous étions prêts à l’éventualité de revivre quelque
chose d’exceptionnel. Nous avons découvert que des hommes libres avaient eux
aussi également choisi de vivre là, en retrait, dans une quête d’indépendance.
Grotte, village troglodytique, ermitage se succédaient, implorant la protection
de la roche toute puissante.
C’était bien joli tout ça mais le plus dur restait à faire,
il nous fallait grimper pour passer de l’autre côté, vers les gorges de la
Jonte, afin de boucler la boucle.
« Après l’éperon rocheux, le sentier s’élève à droite
en lacets (montée physique) » qu’ils disaient dans le topo. « Ben,
pas qu’un peu mon vieux ! ». Nous avons pensé que nous n’y arriverions
jamais. Toujours pareil quand vous montez, vous avez l’impression d’en voir le
bout, ben non, pas encore…et puis…ben non pas encore. Vous suez, vous soufflez,
votre panoplie de super photographe vous pèse.
Le rocher avait beau nous narguer, il fut vaincu. Enfin le
sommet où chacun apporte sa petite pierre à l’édifice, comme un hommage aux
précurseurs ayant ouvert la voie, ici René Blanc.
Nous retrouvions les gorges de la Jonte encore baignées de
soleil ; son inlassable trajectoire le précipitant vers l’horizon. A
l’image de l’humanité, il allait se coucher. Les oiseaux en profitaient encore
pour vaquer à leurs dernières occupations. Pendant que les vautours planaient
en cercles réguliers, d’autres que nous ne connaissions pas jusqu’alors,
lançaient leurs cris. Nous avons ainsi pu découvrir le crave à bec rouge, posé
au milieu de la paroi rocheuse.
Le grand corbeau quant à lui imposait sa présence dans le
bleu du ciel, de son cri guttural.
Je vous laisse imaginer le scepticisme du crave devant le
spectacle qui s’offrait à lui. Partageant sa falaise, un bipède maladroit,
essayait d’escalader la roche ou de prendre son envol ?
Nous voilà de retour au point de départ. Fourbus mais
heureux, nous descendions vers ce charmant village épousant au mieux la beauté
du décor qui l’entoure.
Le soleil venait de nous quitter, notre regard émerveillé et
perdu vers un horizon somptueux.
Fin de la journée « wouaw ! ».
- « J’en veux encore »
- « Non, on dit j’en voudrais encore ».
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