samedi 28 février 2015

Nouvelle Hopper "Eté" (III)

Après un hiver de marmotte, un travail prenant mais qui n'amène que peu de satisfactions - juste quelques unes qui sont très wouaw mais créées de toute pièce, un brin en marge et qui demandent beaucoup d'énergie - un peu reposée, me voilà de retour sur le blog avec la suite tant attendue de la nouvelle Hopper intitulée "Eté".

Rappelez-vous, Paola et Federico, deux enfants de la mafia tombent amoureux. De cette liaison s'en suivra un mariage précipité (les règles n'ayant pas été respectées) et naitra un fils Gino au destin d'un chef de clan. Vous me direz, rien d'exceptionnel jusque là, mais la vie mafieuse n'est pas de tout repos et perturbe quelque peu le sommeil de Paola et cela ne va pas s'arranger...

La suite...



Chicago – Mardi 11 mars 1941 (Sainte Rosine – quête de la gloire) – Après la signature


Le dimanche précédent, toute la famille s’était réunie pour fêter les deux ans et le baptême de l’enfant du péché. Tout rentrait maintenant dans l’ordre religieux des choses ; il ne manquait que la reconnaissance et la bénédiction de l’Eglise. Il fallait un peu de temps pour oublier la faute commise. Lors de cette journée, les dentelles blanches de la cérémonie contrastant avec son petit corps déjà fort, Gino se prêtait à l’admiration et aux genoux de l’assemblée qui se le passait de mains en mains, dans un ordre protocolaire précis. Il semblait apprécier fièrement d’être le centre d’intérêt de cette journée particulière.
Le vin ayant remplacé le sang dans les artères de quelques mâles de la famille, une rixe éclata, les femmes en étant très souvent l’objet conflictuel. L’entourage apprit alors à l’enfant à ne pas s’effrayer et ne pas pleurer. Les prédispositions aidant, c’est ce qu’il fit sans difficultés. La famille se devait d’endurcir cette chair encore tendre.

La guerre n’avait laissé aux américains qu’un répit de courte durée. Ce mardi 11 mars 1941, le président Roosevelt signe la loi « lend-lease », adoptée à une grosse majorité par la Chambre des Représentants. Des navires de commerce américains ayant été détruits par l’armée allemande, les Etats-Unis se dotent des moyens nécessaires à leur propre défense. En aidant également les pays amis, tout est mis en œuvre pour affaiblir et combattre l’ennemi sans rentrer directement dans le conflit.
Tout ce chambardement n’affecte en rien le cours des affaires mafieuses. La montée en puissance de la cosca suit parallèlement celle des USA. Les trafics en tout genre demeurent au grand jour et la violence reste banale. L’inquiétude de la guerre s’ajoutant à celle du commerce de proximité, seule Paola tremble parfois, toujours la nuit, le jour ne supportant aucune faiblesse. Mais ce qu’elle ne sait pas, car cela ne s’avoue pas, c’est que tremble aussi la mamma, la mère de Federico. Cruel sort des femmes du clan, condamnées à hurler intérieurement de douleur, sans pouvoir en exprimer extérieurement la torture. Leur intégrité se fissure peu à peu, les corps prêts à éclater.
Le jeune couple est de plus en plus uni. Mais,
- « attention à la bricole », leur a dit le papa, il ne faut pas que Gino puisse souffrir d’une quelconque concurrence.
Il doit demeurer un concentré des qualités requises pour devenir un chef respecté et incontestable. C’est ainsi que les propos du grand-père ne souffrent aucune contestation. Gino est toujours choyé et reçoit les meilleurs préceptes. C’est un enfant en pleine santé, méticuleusement préservé des maladies populaires. La famille toute entière, telle une larve besogneuse, tisse le cocon doré du chérubin.
Cependant, la convoitise fait rage ; l’appât du gain et la promiscuité génèrent des tensions internes mais surtout des assassinats entre clans. L’année 1942 est particulièrement sanglante et meurtrière pour la mafia, toujours en marge du conflit mondial qui oppose maintenant les américains aux japonais.

C’est dans une ambiance morose que le patriarche cherche en vain le moyen d’élargir le marché de ses transactions. Mais un beau  jour de février 1943, l’idée lui vient d’en haut, après la conférence de Casablanca. Grâce à l’efficacité de son service d’information, il apprend très vite que le gouvernement est en train de négocier avec Lucky Luciano, chef suprême de la mafia américaine. Avec l’aide de Lucky, moyennant une réduction de sa durée d’emprisonnement, les Etats-Unis préparent, conjointement aux alliés, un débarquement en Europe sur la terre de leurs ancêtres. Le sang sicilien du padre afflue d’un seul coup, gonflant outrageusement et dangereusement ses artères d’homme richement nourri. Il voit là l’occasion inespérée de redonner du sens à sa vie et une pérennité matérielle au clan. Naissent alors deux sentiments qui l’animent vivement, contraignant à nouveau son cœur, à la limite de la rupture ; d’une part, chasser l’italien mussolinien et d’autre part, en tant qu’expatrié, reconquérir et posséder la terre qui lui revient de droit, la Sicile. Il imagine un plan prévoyant une mission pour un homme de confiance. Le seul qu’il connaisse, c’est son fils unique Federico. Ce dernier, à l’intelligence finement aiguisée, comprend très vite ce que l’on attend de lui. Au nom de la patrie et de son salut, il annonce à sa femme son engagement en tant que parachutiste dans le premier bataillon du 505ème régiment de la 82ème airborne. L’armée américaine prépare, dans le plus grand secret, « l’opération Husky ». Les troupes participant directement à la bataille seront débarquées en Sicile. De par les liens qui unissent la famille à celle de Luciano et après moult recommandations, Federico est incorporé et devient un soldat zélé. En effet, connaissant la discipline et la discrétion, il est formé très rapidement aux exigences requises, et notamment un double jeu à haut risque.

C’est dans ce but que Paola, Gino et la mamma sont délibérément tenus à l’écart du projet. Commencent alors pour la jeune femme de longs mois de solitude physique et psychologique ; tout contact qui pourrait faire échouer la mission étant proscrit. De même, les caresses charnelles d’une mère avec son petit enfant, les baisers qui ramollissent le corps, doivent être réduits au strict minimum. Elle a eu souvent le reproche de s’attarder trop longtemps sur les joues et le cou potelés de Gino, fondement génétique de la pérennité de la famille.
- « Tu vas en faire une fille » était une phrase entendue de façon récurrente, chaque fois que son instinct maternel débordait un peu trop. La mission de Paola est de forger une carapace âpre et rugueuse pour son fils unique.
Les horreurs de la guerre s’ajoutent maintenant à ses cauchemars. Ils s’invitent de plus en plus nombreux et de plus en plus souvent, lors des nuits anxieuses de Paola. Tout se prépare mais rien ne se dit. Même le jour de l’anniversaire de Gino, Federico est absent.
- « C’est pour le besoin de la cause » lui a-t-on dit. Inutile d’insister, elle n’en saura pas plus.
D’une joyeuse insouciance, elle se retrouve très vite enfermée dans une vie de femme résignée, frustrée d’amour, avec un mari absent, un fils distant, un beau-père exigeant et un clan intransigeant. Ce bâillon et ces liens virtuels la poussent parfois à la limite de la folie, la raison reprenant toujours le dessus. Comment enrayer ce destin caricatural dont elle était jusque là prisonnière et auquel elle est peut-être définitivement promise ? Il est indéfectiblement, maritalement devant Dieu et la famille, et par amour, lié à celui de Federico et de son fils.


Pris dans des exercices intensifs et une discipline de fer, Federico n’a pas le temps de laisser place à une tristesse qui le ronge. Les épaules et l’échine courbées, l’éloignement de sa femme et de son enfant chéris lui pèse. Malgré tout, il reste fier de la confiance que son père lui accorde. Son rôle va être déterminant pour son pays, sa famille, sa descendance. Il ne s’en retrouve pas moins prisonnier de son courage et de sa destinée.

à suivre...

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