samedi 10 mai 2014

Humeur anticipée

Identité amnésique


Le hasard fit que le tour de table commença par moi. L’animateur nous demandait alors de nous présenter. Afin de favoriser le rapprochement, le tutoiement avait été adopté à l’unanimité, comme si nous avions été des potes depuis longtemps, à notre insu...


L’animateur :
- D’où viens-tu ?
Avec hésitation, je formulais ma réponse :
- Ben, heu ! Je ne sais plus trop.
Avant ça s’appelait l’Aveyron. Maintenant c’est une communauté d’agglo de communes de patelins de la région midi-centre-ouest. C’est un regroupement raisonné.
- Aah, oui ! Je vois à peu près où est-ce que ça se situe.
L’animateur allant plus loin dans l’investigation, afin de mieux connaître chacun d’entre nous :
Il y a de beaux paysages il me semble ?
- Ben, c’est moyen.
Nous avons une platitude montagneuse alluvionnaire, mitée de centaines d'éoliennes obsolètes, bordée par une côte océanique.
Deux autres membres du groupe de dire :
- Ah, nous aussi !
Un troisième de préciser :
- Nous, c’est méditerranéenne.
- Et, sur le plan économique, c’est une région qui s’en sort ?
- Ben, c’est moyen.
Notre économie est chômo-laborieuse. C’est un regroupement raisonné.
Les deux autres comparses, en chœur :
- Ah, nous aussi !
Le troisième de préciser :
- Nous avons un taux de chômage plus élevé que la moyenne. L’excès de soleil, sans doute.
Cela paraissait comme une évidence car personne ne releva cet argument.
- Et, l’agriculture ?
- Ben, c’est moyen.
Une polyculture raisonnée avec une utilisation de pesticides...
- Raisonnée ?
- Oui !
- Ah, nous aussi !
- Nous, plus de vignes.
- Et la culture ?
- Ben, c’est moyen.
Une polyculture raisonnée avec des musées historico-contemporains.
- Ah, nous aussi !
- Nous, une capitale européenne de la culture.
- Et, l’intégration ethnique ?
- Ben, c’est moyen.
Une polyculture raisonnée avec des populations mélangées.
- Ah, nous aussi !
- Nous, plus d’africains du nord.

Ce troisième individu commençait à dépasser les bornes… de la moyenne et à exaspérer l’assemblée.
Le tour de table n’en était qu’à son début et les échanges devenaient houleux et empreints d’arrogance.
Le ton s’élevait et des bribes de conversations en émergeaient :
- Nous avons dix plus beaux villages de France.
- Nous, douze.
Ailleurs, c’était :
- Nous avons trois fleuves.
- Nous, quatre.
- Oui, mais vous nous avez pris cette partie de région qui était historiquement rattachée à la nôtre.
Ca bataillait dur sur les limites de la moyenne.
L’animateur, voyant la maîtrise de l’assemblée lui échapper, stoppa net tout le monde en me demandant :
- Et, tu es content d’habiter cette région ?
Avec certitude, je lui répondais :
- Oui, j’en suis très fier.
- Moi, aussi !
- Moi, aussi !
Le troisième ne pouvait plus surenchérir, même issu d’une région cataloguée pour son exagération légendaire :
- Moi, aussi !

Le calme revenu, la réunion de la Commission de l’Organisation et de la Répartition de la Moyenne pouvait alors commencer. La C.O.R.M., composée d’autant d’hommes que de femmes, avait pour mission de définir précisément les caractéristiques du Français Moyen.
Nous éduquions nos enfants dans ce sens, en mélangeant les bons élèves avec les cancres. Cela faisait une moyenne, certes médiocre, mais cela rentrait dans les critères définis par la C.O.R.M..

Et, l’Aveyron dans tout ça ?
Ben, il fallait l’oublier, car entre-temps le gouvernement avait fait passer en force une loi interdisant toute manifestation de la fierté des origines françaises.
Il était à noter en parallèle, dans notre pays, une augmentation du nombre de malades d’Alzheimer.


Au même moment, le directeur de communication du président en place avait eu pour idée de remplacer le slogan « Liberté, Egalité, Fraternité » par une seule image, toute empreinte de sagesse et selon lui représentative du pays :


A la suite d’un référendum, la population l’avait adoptée avec enthousiasme, à l’unanimité.
Seulement, c’était sans savoir qu’une ethnie étrangère, soucieuse de son identité culturelle en avait déposé la marque dans le monde entier.

- Ouf ! En partie sauvés !

Avant d'en arriver là, créons une commission de prévention.

Aucun commentaire: