Je vous présente ici, à nouveau, l'un de mes écrits.
Il rentre dans la rubrique "Tendres nouvelles". Il fallait absolument que je rende cet hommage à l'héroïne car selon moi nous étions devenues...
Complices
La voici qui arrive, toujours à
l’heure. Elle s’installe à droite du piquet central, toujours à la même place
de la tonnelle. Son regard se perd dans le paysage, tantôt rassuré, tantôt
inquiet. De temps à autre, elle se tourne vers moi et me regarde, jamais très
longtemps, vite distraite. Nous sommes au mois de juin ; il fait
chaud ; il est 18 heures.
Pour moi, c’est l’heure du thé que
je savoure accompagné de quelques biscuits. Pour elle, c’est simplement de
l’eau fraîche. Mon regard se perd également, tournée vers le paysage. De temps
à autre, je la regarde, jamais très longtemps de peur de l’effrayer.
Elle revient chaque année et
retrouve la même maison au toit débordant ; quant à moi je suis toujours
là. On dit qu’elle fait régulièrement de longs voyages. Je souhaiterais que,
confiante, elle s’approche et me décrive les contrées traversées, la nature,
les hommes, la vie ; mais elle ne parle pas. De nombreuses questions se
bousculent dans mon esprit – est-ce que cela s’est bien passé ? Qui a-t-elle
rencontré ?
Une proximité s’installe malgré
tout.
Après son bain dans la piscine,
elle prend place sur la terrasse. Légèrement ébouriffée, elle s’apprête
délicatement et avec soin. Elle est si fine !
Les jours de pluie, elle semble
bouder, se met à gauche du piquet et tourne le dos au paysage. Elle me regarde
tout de même, ne refusant que certaines choses.
Un peu plus tard en saison, au
mois de juillet et août, elle est accompagnée de ses enfants. Ils lui
ressemblent beaucoup. Elle les couve du regard. Un lien très proche les unit,
toujours attentive à leurs besoins.
Les années passent et elle reste
toujours aussi mystérieuse. Le contact est compliqué mais nous restons fidèles
l’une et l’autre, l’une à l’autre.
Que peut-elle bien penser de notre
relation ? Je ne le saurais jamais. Elle ne reste pas très longtemps en ce
lieu de détente, juste le temps de se rafraîchir et se reposer un peu.
Mais qu’est-ce qui empêche deux
êtres proches de communiquer entre eux ? Le média interposé ; il est
vrai que je regarde sur l’écran de la télévision, une célèbre émission de
questions. Elle y jette sûrement un oeil de temps en temps. En comprend-elle
les enjeux ?
Est-ce la curiosité qui la
motive ? Recherche-t-elle ma présence ?
Malgré le doute, c’est un être qui
m’est cher. Ne plus la voir une année susciterait en moi une vive inquiétude.
Elle représente l’espoir, le renouveau, la belle saison, celle des projets, des
grandes décisions.
Mais aussi celle de la communion
avec la nature et de toute vie en gestation qu’elle engendre. C’est donc avec
plaisir que je la retrouve.
Et bien sûr, me voilà bien triste
lorsqu’elle s’en va. Elle s’y prépare en compagnie de ses enfants. C’est toute
une affaire ! Elle se retrouve dans un grand état d’agitation, toute
excitée à l’idée de partir. Encore un voyage au long cours au déroulement
imprévisible. Elle sait où elle va, connait les lieux, les habitants, préférant
toujours les pays au climat doux ; c’est de famille, chaque génération
perpétuant la tradition, au mois d’octobre.
Moi je reste là, pensant déjà au
froid rigoureux qu’il va falloir endurer, aux jours blancs, gris, en noir et
blanc. Aucun voyage en perspective, les deux pieds rivés dans ce paysage,
pourtant beau. Uniquement des rêves en couleurs.
Je paierais cher pour pouvoir
partir moi aussi, sans en avoir l’argent nécessaire, que la liberté devienne
mon quotidien.
Une fois partie, tu resteras
toujours mon repère spatio-temporel préféré. Tu arrives avec un dicton et
repars sûrement avec un autre dicton que je ne connais pas. Les hommes
racontent ce qui les arrange pour justifier leurs incertitudes, histoire de se
rassurer ; ils font porter à d’autres l’origine des calamités.
Hirondelle, puisque c’est de toi
dont il s’agit ici, à l’inverse du dicton, tu fais mon printemps, mon été, mon
automne. De toi je ne pourrais me passer. Une complicité, tout au moins un
plaisir d’être ensemble s’est instauré, ne serait-ce que l’espace d’un instant.
J’aime tout en toi, ton gazouillis gai et incompréhensible, les reflets bleus de
ton plumage noir enchantant mon quotidien. Tu en prends grand soin.
Après t’être désaltérée en écopant
délicatement l’eau de la piscine, tu fais ton nettoyage de chaque jour à grands
claquements d’ailes, puis tu t’installes non loin de moi sur le fil de la
tonnelle. Tu t’ébroues et t’épouilles et lisses délicatement tes longues
plumes.
Tu me regardes ou bien tu regardes
la télévision avec laquelle tu t’es familiarisée depuis ta jeunesse. Je
souhaiterais tellement que ce soit moi qui attire ton attention, et ta volonté de
me raconter ta vie. Je voudrais tout savoir sur toi. J’ai plein de questions
pour toi ; je suis bavarde comme tu as l’air de l’être dans ton langage.
Complices ?
Ces dernières années, je suis
inquiète car ton espèce régresse. Pour toi et les tiens, les effectifs sont en
perte de vitesse. Tu as beau me présenter tes enfants chaque été, peu d’entre
eux reviennent. Que rencontrent-ils sur leur passage ? Les mêmes maux
qu’engendre l’espèce humaine pour les siens : famines, pollution,
conflits...
Ainsi nos deux petites vies sont
étroitement mêlées et nous apportent, lorsque l’on se retrouve, une grosse part
de bonheur. De ton côté, j’aime à le supposer.
J'espère que cette petite nouvelle vous aura plu.
Elle traduit mon attachement à la nature et aux oiseaux pour lesquels j'apporte ma modeste contribution au sein de la LPO, Ligue pour la Protection des Oiseaux.
Je me suis engagée à faire de mon jardin un "refuge LPO", d'une simplicité désarmante mais d'intérêt général et particulier, même sur une toute petite surface, un balcon par exemple.
Mes amis, j'ose le dire, à 2, 3?, 4 ou mille, ou sans pattes me le rendent bien. C'est avec bonheur que je les y ai invités... et que je les espionne avec mes jumelles...hé,hé!
Ma troisième nouvelle "Inspiration Hopper" est prête, alors soyez vigilants, elle va bientôt apparaître.
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