samedi 6 juillet 2013

Nouvelle Hopper "La nuit au bureau"




Une petite deuxième dans la série "inspiration Hopper", pour le week-end... ou les vacances.

Je vous laisse la lire avec avidité...










La nuit au bureau                     Edward Hopper




– Paméla, dépêchez-vous de me faire passer le dossier de M. Fox, je ne souhaite pas dormir ici !
– Je ne le trouve pas, il n’est pas rangé dans les dossiers dont le nom commence par la lettre F.

Paméla venait de quitter son bureau de secrétaire où trônait sa machine à écrire, une Rémington toute neuve et rutilante que son patron venait de lui offrir. Nonchalamment, elle s’était dirigée vers le classeur métallique où étaient rangés tous les dossiers, en faisant rouler ses hanches. Une copine lui avait appris comment marcher sur des talons hauts avec élégance. Elle appliquait studieusement ses conseils car Kelly était une experte. D’autre part, il ne fallait pas lancer la jambe trop en avant si l’on souhaitait éviter toute déchirure, car le fond de la robe était étroit. C’était donc à petits pas, telle une souris, qu’elle se déplaçait.

– Il faut mettre la main dessus car j’ai là une lettre importante à y ranger.

M. Trévor Doyle, détective privé, les cheveux d’un blond presque roux, bien rangés sur le côté, séparés par une superbe raie rectiligne, la moustache généreuse, tenait la fameuse lettre devant lui. L’air soucieux, inhabituel chez lui,  il la relisait avec attention sous la lumière de la lampe verte.
Tout respirait calme, sérénité, travail consciencieux et ténacité dans ce bureau new-yorkais. Les murs blancs, la moquette verte, les boiseries et le mobilier y contribuaient.

La notoriété de Trévor remplissait encore et encore le classeur métallique, ce dernier finirait par exploser.
A chaque fois qu’elle manipulait l’un de ses tiroirs, Paméla, rêveuse, fanatique de comics, imaginait réellement le classeur en train d’exploser. Les feuilles de vélin virevoltaient puis gisaient au sol dans un désordre organisé, certaines, frondeuses, passaient même le cap de la fenêtre ouverte sur la nuit et sur la ville. Une belle scène de bande dessinée !

La jeune femme regardait maintenant Trévor. Elle passerait bien le cap elle aussi de son bureau de secrétaire à celui de détective. La voilà repartie dans son monde virtuel, s’imaginant à la place de Trévor. Son envie de lire la lettre la démangeait. Or, Trévor maintenait l’élément de l’enquête à bonne distance. Ce qui attisait d’autant plus la curiosité de Paméla. Elle était chatouillée.

Ni l’un ni l’autre n’avaient vu le temps passer, il se faisait tard. Cependant, le jeune détective voulait absolument retrouver ce dossier avant de partir.
Paméla, présente mais son esprit ailleurs, se tenait toujours debout devant le classeur.
Trévor n’était même pas distrait par la présence de la jeune femme à ses côtés. N’importe quel homme aurait aimé cette robe bleue moulant à merveille les formes généreuses de ce corps de femme avenant. Les petits talons noirs rehaussaient les mollets et dévoilaient ainsi le galbe parfait de ses jambes. Ils prolongeaient leur action jusqu’à accentuer la cambrure de ses reins. Un léger décolleté plongeait discrètement entre ses seins qu’un soutien-gorge à balconnets mettait en lumière. Ses cheveux relevés par un brushing parfait dévoilaient la sensualité de son cou légèrement parfumé. Gris étaient ses deux jolis yeux en amande, délicatement ombrés avec goût. Cerise était sa bouche pulpeuse dessinée avec précision par un rouge à lèvres de marque. Belle brunette !
N’importe quel homme mais ce n’était pas Trévor, absorbé par son travail. De plus, étant jeune marié, on pouvait également penser que sa femme le contentait, qu’il était encore amoureux. Le gendre idéal !

Paméla aussi était jeune mariée. Si elle s’habillait ainsi ce n’était pas pour aguicher mais plutôt pour suivre la mode et elle y cédait volontiers, par coquetterie. Son code vestimentaire était aussi dicté par les héroïnes de ses comics préférés dont les auteurs exagéraient quelque peu la tendance du moment. Augmenter le nombre de lecteurs, avoir la plus grande popularité était le credo de nombreux dessinateurs. Paméla souhaitait ressembler notamment à la voluptueuse Patsy Walker de Ruth Atkinson.

L’enquête était loin d’être bouclée, elle piétinait. En cette nuit du mois d’août il faisait lourd, pas un brin d’air, une ambiance étouffante. La chaleur restituée par le bitume et les pierres s’engouffrait par la fenêtre. Paméla, précautionneuse, avait soulevé store et battant et entrouvert la porte afin de créer un léger courant d’air rafraîchissant.
Plusieurs questions hétéroclites se bousculaient à cet instant dans son esprit volatil – Où était donc ce dossier ? Comment Trévor pouvait se supporter avec une veste ? Qu’allait-elle préparer à manger en rentrant ? N’était-ce pas Irma la femme de ménage qui aurait rangé n’importe où ce dossier qui trainait, par manie de l’ordre ? – La  pauvrette étant analphabète, elle n’aurait pas compris la logique sous-tendue par les lettres affichées sur les tiroirs.

Deux énigmes restaient à découvrir, l’une générée par la lettre mystérieuse entre les mains de Trévor, l’autre par l’absence du dossier de M. Fox dans le classeur de Paméla.
L’estomac de Trévor grognait sa longue attente et son impatience mais ce dernier ne voulait l’entendre. Il n’y accordait guère d’attention.
Son naturel entêté lui venait de ses racines irlandaises. Il en avait gardé la force de la pierre, du vent et des vagues, la rusticité de sa relation au monde. De la moquette verte à l’herbe et la mousse des prairies irlandaises, il n’y avait qu’un pas qu’il franchissait de temps en temps quand son esprit cartésien lâchait prise.
Tous les ans, il retournait aux sources, seul, c’était un besoin vital et impérieux. Pendant ce temps, sa femme rendait visite à ses parents, dans l’état du Connecticut, à Bridgeport. Une séparation consentie de quelques jours seulement, après ils passaient leurs vacances ensemble en Floride.

Paméla jouissait de l’insouciance de la jeunesse américaine, décomplexée, sans attaches, tirant partie du développement intensif des différents modes de transport. Issue d’une famille aisée, ouverte sur la diversité culturelle, elle était vive et curieuse, imaginative, urbaine. La belle-fille idéale !
Trévor écoutait souvent les suggestions de la jeune femme dont la perspicacité avait fait ses preuves. Il lui faisait naturellement confiance. Le courant passait bien entre ces deux là ! Ils étaient détective et secrétaire.
Mais ce soir, peu à peu vaincu par la fatigue, le jeune homme souhaitait maintenant ranger cette lettre car pour l’instant elle ne faisait en rien avancer ses recherches. Son contenu le laissait perplexe et ce d’autant qu’elle était compromettante.

C’était une lettre de dénonciation, anonyme et manuscrite. De par son contenu, elle se retrouvait liée au dossier de M. Fox. Ce dernier, soupçonnant sa femme d’adultère, avait fait appel aux compétences reconnues de Trévor pour débusquer le contrevenant, le salop qui osait toucher à son épouse, traduit  dans le langage de M. Fox. Or dans la lettre anonyme, le nom de son client apparaissait mais devenait aussi le salop qui osait toucher à sa propre femme, à lui, détective ! Bien sûr, il n’y croyait pas, enfin... il essayait de s’en persuader. Tout cela commençait à devenir gênant. Son enquête n’avançait pas faute de preuves et le doute concernant la fidélité de sa femme s’installait malgré lui. Si cela venait à se savoir, sa notoriété, ses affaires en prendraient un coup, assassinées par le déshonneur.

Pendant que Paméla farfouillait méthodiquement dans les tiroirs afin de faire émerger ce fichu dossier, farouchement accrochée à l’idée que cela ne pouvait venir que de la femme de ménage, notre détective réfléchissait et hésitait, puis réfléchissait, puis hésitait encore une fois. Ses origines rurales et ses convictions religieuses le rendaient prudent.
C’est donc après une mûre réflexion que Trévor mit sa secrétaire dans la confidence de la lettre. Elle réfléchit à son tour un instant et sa remarque d’abord surprenante allait devenir pertinente – Et si les deux faits étaient liés ! La lettre et la disparition du dossier ! – Le jeune homme n’y avait pas pensé, l’évidence lui sautait maintenant aux yeux.
Leur premier réflexe fut de vérifier d’où avait été postée la missive ; d’un quartier qu’ils connaissaient bien tous deux pour l’avoir fréquenté régulièrement. Elle venait de SoHo.
Cette écriture qui essayait maladroitement d’en imiter une autre n’était pas inconnue à Paméla. De par le métier de Trévor et de par ses fréquentations, elle s’était familiarisée avec ce genre d’exercice.
Neal, son ancien amoureux, qui était passé récemment,  lui aussi détective, lui avait déjà montré des productions similaires dans les dossiers de ses clients. A l’époque, ils en avaient bien ri.

Cette fois-ci, Paméla riait toute seule, à la grande surprise de Trévor. Etait-elle devenue folle ? Non, elle savait maintenant qui était à l’origine de tout ça. Un indice subtil, volontairement laissé par l’accusateur dans le cas où Paméla lirait la lettre – ce dont il ne doutait pas – n’avait pas manqué d’attirer son attention. Ils connaissaient tous les deux le responsable. Ce n’était autre que Neal lui même, leur ami.
Ce dernier, voulant taquiner Trévor et mettre à l’épreuve sa fidélité envers sa femme, avait tout manigancé. Faux M. Fox, fausse Mme Fox, fausse accusation, fausse enquête, vrai disparition de dossier le jour où il avait rendu visite à Paméla prétextant le désir d’un café, fausse lettre anonyme.
Paméla avait raison, tout était lié. Trévor se mit à rire à son tour mais après avoir eu confirmation de la supercherie par Neal lui-même, à l’autre bout du fil. Ce qui chagrina un brin Paméla, ne lui faisait-il plus confiance ?

Ils allaient pouvoir maintenant détruire la lettre et rentrer ensemble dans leur appartement. Point d’infidélité car Trévor et Paméla étaient mari et femme. Seulement au bureau, ils avaient décidé d’un commun accord de faire comme s’ils étaient simplement patron et employée, détective et secrétaire, par souci du travail bien fait.

C’était vendredi soir et ce week-end ils iraient faire un tour dans le Connecticut, voir les parents de Paméla et se prouver la fidélité de leur amour dans une des forêts bucoliques jouxtant la ville. Ils seraient alors mari et femme.



La troisième est presque prête, il va falloir attendre que je la tape; et oui, tel un "dinoscriptor" j'écris mes nouvelles à la main. Mon inspiration glisse plus facilement sur le papier d'imprimante.
La quatrième est en gestation.
Avouez-le, je vous ai déjà gâté!
Peut-être une "tendre nouvelle" entre deux!
Alors à bientôt.

2 commentaires:

Tistoulespoucesverts a dit…

C'est fourbe ! Mais il manque encore un peu de subtilité dans la fourberie pour arriver au niveau d'Agatha !!

As-tu remzrqué que la position de la fille est la position "fesses-seins" à laquelle faisait allusion Lulu tout à l'heure ???

Suisei a dit…

Ho ! Du policier mignon ! Ça, j'aime bien. ^^